....bienvenue chez moi


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Bienvenue dans mon nouvel espace
"le crayon et la plume"
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vendredi 30 novembre 2012

*"On sait que j'avais de bons parents"....


"Mes parents étaient la protection, la confiance, la chaleur. Je l'éprouve encore aujourd'hui quand je songe à mon enfance, cette sensation de chaleur au-dessus de moi, cette impression merveilleuse de ne pas vivre à son compte, mais de s'appuyer tout entier, du corps et de l'âme, sur d'autres vies qui acceptent.

 Mes parents me portaient.

C'est sans doute pourquoi, pendant toute mon enfance, je n'ai pas touché terre.

Je pouvais m'éloigner, revenir, mes objets n'avaient pas de poids, rien ne collait à moi. Je passais entre les dangers et leurs peurs comme la lumière à travers un miroir.

Et c'est cela que j'appelle le bonheur de mon enfance.

C'est une armure magique qui, une fois posée sur vos épaules, peut être transportée à travers votre existence entière.

Mes parents, c'était le ciel.

Je ne me le disais pas clairement. Ils ne me le disaient pas non plus. Mais c'était une évidence.

De là mon audace. Je courais sans cesse. Toute mon enfance s'est passée à courir...

Seulement, je ne courais pas pour m'emparer de quelque chose (que voilà bien une idée d'adulte et non d'enfant !...). Je courais pour aller à la rencontre de tout ce qui était visible et de tout ce qui ne l'était pas encore. J'allais de confiance en confiance, comme dans une course de relais.

J'étais convaincu que rien ne m'était hostile, que les branches auxquelles je me suspendais    tiendraient bon,                                            
que les allées, même sinueuses, me conduiraient là où je n'aurai pas peur, et que tous les chemins me ramenaient vers ma famille.

Autant dire que je n'avais pas d'histoire, sinon la plus importante de toutes, celle de la vie.

Et voilà, ce que tout à l'heure, j'ai appelé l'eau claire de mon enfance. (...)

Ce qu'une maman peut faire pour son enfant aveugle peut s'exprimer simplement : lui donner naissance une deuxième  fois.

C'est ce que la mienne fit pour moi.

Mon seul travail à moi était de m'abandonner à elle, de croire ce qu'elle croyait, de me servir de ses yeux chaque fois que les miens me manquaient.

A la compétence,  elle ajouta l'amour.  Et l'on sait bien que cet amour là dissout les obstacles mieux que ne le feraient toutes les sciences.

On sait que j'avais de bons parents.

C'est à dire non seulement des parents qui me voulaient du bien, mais des parents pour qui ce n'était pas nécessairement une malédiction (que je sois) différent des autres.

Des parents prêts à admettre que leur manière de voir, la manière commune, n'était peut-être pas la seule possible, des parents prêts à aimer la mienne  (ma façon de voir) et à la favoriser".

Jacques Lusseyran
Et la lumière fut.






(Réf. : Sur les épaules de Darwin - France Inter - par Jean-Claude Ameisen) 
émission du 24 novembre 2012
"Le lien qui nous rattache aux autres  (3)"

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mercredi 28 novembre 2012

*Ces souvenirs, peut-être plus que d'autres...



Ces souvenirs, peut-être plus que d'autres resurgissent à un moment que je n'attendais plus, puisque j'ai achevé le livre.

Le battement aérien des ailes des libellules près du ruisseau, sur le côté, m'invite à la rêverie.

Le clapier à lapins a été déplacé.

Ma soeur a grandi.

Elle est de l'autre côté du chemin et regarde le troupeau de moutons, en bas, elle a trois ans, et mois six, et sans réfléchir elle porte à sa bouche une poignée d'espigaous, que l'on trouve chez nous dans le Midi, appelés aussi "l'épillet voyageur".

C'est une plante sèche qui se faufile, se colle partout, monte très vite. Le danger c'est la partie supérieure de la tige de cette graminée qui grimpe, grimpe... Une herbe imprévoyante, complètement folle.

La voyant devenir rouge coquelicot, s'étouffant, je glisse sans trop réfléchir, ma main dans sa bouche, tentant rapidement de récupérer la plante-épi, l'obligeant à vomir.

Je la sauve d'un étouffement certain, effrayée par cet instant d'inattention, moi la petite mère.

Sauvée, Gigi, et grâce à moi...

Den



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mardi 27 novembre 2012

*Quand j'ai dix ans...


Quand j'ai dix ans, en 1956, Léon me raconte les tranchées, la guerre de Verdun, les tirs demeurés à jamais dans ses oreilles, ainsi que les odeurs toujours intactes.

Intéressée, je suis à son écoute.

Il est alors veuf de Juliette, et peu de temps après, un voyage lui est offert, comme à d'autres anciens combattants, sur les traces de leur passé, accompagnés d'une personne de leur choix.

Il me désigne, moi sa petite fille "préférée", avec l'accord de mes parents, parmi une dizaine d'autres de ses petits enfants pour un pélerinage à Verdun et sa région. Mes cousins-cousines.

Départ en train.

Le voyage est long, fatiguant.

Je suis fière de représenter ma famille. Déjà.
Là je découvre ce que les livres d'histoire ne peuvent pas décrire : La Grande Histoire.

Tenter de comprendre les horreurs de la guerre.
Effacer les fantômes qui continuent de hanter ces lieux !

Verdun, Douaumont.

La Meuse.
On se promène, le souffle est coupé. On ouvre grand les yeux.

L'ossuaire, avec ses 130 000 soldats français et allemands morts au combat est là, qui domine un champ de bataille où la nature, a quelque peu repris ses droits.

La végétation commence à recouvrir cette terre meurtrière dont le sol a été fouillé profondément par des milliers d'obus.

On aperçoit toujours les cratères, les tranchées à demi-comblées.

De la guerre il ne subsiste presque plus rien, tout a été caché, le temps a glissé sur ces paysages, mais il demeure toujours les barbelés, preuve que ce lieu a connu l'enfer.

J'ai eu la chance de feuilleter le livre d'Or des soldats de Verdun, où le nom de Goselin, Léon G... est inscrit, que je revois avec une netteté photographique qui pique aux yeux : il est la preuve de son service actif à mon grand-père dans ce secteur entre le 31 janvier 1914 au 11 novembre 1918.

J'observe de loin l'immense cimetière aux croix similaires plantées à même le sol, les mêmes rangées alignées les unes à côté des autres... Douaumont.

1956.



J'envoie le 18 juin de cette année, d'une écriture appliquée, consciente de ma responsabilité, une carte à mes oncles, métayers à présent à la Bastide de la Petite Mignarde, derrière la route des Alpes, près du Chemin Noir à Aix-en-Provence, flanquée de platanes plus que centenaires, 

"arrivés avec un très beau temps",

"un beau souvenir de Verdun à la famille G... sans oublier tonton Elisée, Yette, et Martine

signé Den
et Léon G..."

J'ai aidé Léon pour la signature. Il subsiste le trait au crayon autour des lettres, rehaussé par un stylo bille bleu.

De petite fille j'ai endossé le rôle de petite mère pour mon grand-père Léon âgé de soixante-treize ans.
Je n'ai que dix ans, mais j'ai la conscience que ce voyage est une épreuve pour lui à revivre ces instants douloureux.

Plus tard, en date du 30 juin.
Léon écrit "désire que la présente vous trouve tous en bonne santé.

Pensons partir le 2 ou 3 juillet.
Bonne caresse à tous.

Je rajoute ma signature à son envoi adressé à la famille G.... à la petite Mignarde, Quartier Pelcourt, Aix-en-Provence.

Léon décèdera au retour de ce voyage, peu de temps après. D'émotion certainement.

-=-=-=-=-=-=-=

Je suis revenue d'hier à aujourd'hui.

Au loin une étincelle promet la lumière.

Cependant les idées rendent la page opaque.
Me suis-je réellement échappée de ce passé ?

Restée longtemps immobile, perdue là, tandis que d'autres s'activent ailleurs, toujours en vacances, où l'eau vole en éclat dans un décor naturel, légère comme une plume. Comme j'aime. La fin d'été n'est pas annoncée.

Je retraverse cette époque, en douceur ; le soleil est toujours au zénith.

Pendant ce temps, je réinvente une histoire solitaire ne pensant à rien.

Je me repose ici sur la page tranquille et profite d'une éclaircie, tandis qu'Hugo mon petit-fils âgé de dix ans, et son papy découvrent en traversant en moto, joyeusement, de nombreuses villes européennes, en un périple mémorable de 16 jours, et 4 780 kms au compteur-enregistreur, ramenant ainsi 603 photos, et un cahier de bord journalier.

Den







lundi 26 novembre 2012

* Le Tholonet, le 28 septembre 1916...

Le Tholonet, le 28 septembre 1916, Juliette écrit à Léon :

Mon très cher Léon bien aimé,

Ce matin je suis allée à Aix pour toucher l'allocation, et ta mère est venue coucher hier soir afin de soigner nos chers enfants.

Je te dirai, cher petit ange chéri, que ce matin j'ai soudé une boîte pour toi, c'est Claire qui l'a préparée, tu verras mon talent ; il y a mieux, mais c'est plus cher ; que veux-tu, mon cher Léon, cela nous sera beaucoup plus commode ; nous aurons tout sous la main ; il n'y a pas de sot métier, il y a que de sottes gens ; pour maintenant, j'ai mis beaucoup d'étain, mais plus on fait de boîtes, mieux on arrive à les faire.

Il n'a pas fait beau temps aujourd'hui, il a plu tout le jour ; je me suis bien dépêchée à Aix, et je ne t'ai pas écrit une carte, et je comptais en faire une en arrivant, et la donner au facteur, puis..." 

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* De Juliette, le 26 août 1916


"ton baiser comme une bourrasque gonfle mon coeur à déborder"...

"J'ai bien reçu aujourd'hui ta gentille lettre et carte du 22.  Ce qui m'a fait beaucoup plaisir,
c'est que tu sois en bonne santé ; nous allons bien nous autres.

Mon très Cher Léon bien aimé, je suis allée faire des commissions ;
la semaine prochaine je t'enverrai un colis, demain je te ferai une longue lettre.

Adieu et au revoir, mon Cher Léon, 
reçois toutes nos bonnes caresses de tes quatre chers petits anges qui t'aiment bien".

Juliette G.

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*Juliette écrit à Léon

le 21 août 1916 "une pensée du front"

Mon Cher Léon,

"Ce matin, je suis allée accompagner à la gare.. X et Y.
J'ai été bien contente de rester un bon moment avec eux ; je leur ai fait deux grosses caresses pour qu'ils te les rendent..

J'ai fait mes provisions avec P... . Aujourd'hui je n'ai rien reçu.
Le facteur ne s'est pas arrêté. Demain je pense recevoir deux lettres.

Je termine mon Cher Léon.

Reçois mille grosses caresses de toute ta chérie, ta petite famille qui t'aime bien".

Juliette G....

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dimanche 25 novembre 2012

*Du 27 décembre 1917 - midi -



du 27 décembre 1917 - midi -
 bons baisers - bonne année.

"Bien chère petite Nini chérie, bien chers petits anges,

Je vous souhaite une bonne et heureuse année, beaucoup de bonheur et prospérité.

Hier j'ai reçu une carte de Noël de Théodorine et une de Louis.

Bonne caresse à tous les cinq, et bonne année.

Ton petit Loulou qui pense beaucoup à vous".

Léon G...




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* Le 26 octobre 1917....



Envoi de Léon G... 8ème... 17ème compagnie SP 160

à Madame Léon G.

J'apporte des amitiés de Marseille

le 26 octobre 1917

"un bonjour et bonnes caresses à toute la famille"

(cette carte postée n'est pas écrite par Léon. A-t-il été blessé ?)




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*Du 5 août 1917 - 8 h du soir..

du 5 août 1917 - 8 h du soir
de Léon, votre petit papa qui vous amènera bientôt la petite soeur.

Bien chers petits anges chéris,

"Vous direz à votre maman que j'irai bientôt en permission ;
il en part un par jour : il y en a deux qui ont déjà leur "perm"  signée, ça fait dans deux jours pour moi, et je vous embrasse tous du fond du coeur, en attendant bientôt d'aller vous embrasser de près, et passer quelques jours en famille".

Léon G...


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*Un souvenir du 3ème régiment d'infanterie


du 2 décembre 1916 à 8 heures du soir, 
de Léon,

sur un souvenir de ta moitié - 3ème régiment d'infanterie

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Ma bien chère petite chérie, chers petits enfants bien aimés,

"J'ai reçu aujourd'hui ton aimable carte du 29.
Ce qui m'a fait beaucoup plaisir, tu dis que tu es allée à Aix, et que tu as mené les enfants
chez Mme G... ce qui m'a fait beaucoup plaisir, et aussi       tu me dis que D..... t'a donnée bon espoir,
il t'a dit qu'on donnait des permissions pour arrangements de famille, moi aussi j'ai espoir si les démarches sont bien faites. J'ai espoir.

Mille tendres baisers à tous les quatre de ta moitié qui vous adore"

Léon

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*de Léon, du 11 novembre 1916, 8 h du soir....

du 11 novembre 1916, 8 heures du soir, de Léon

"Ma bien chère petite Nini chérie, chers petits enfants bien aimés,

Aujourd'hui je n'ai reçu qu'une lettre de Théodorine du 8. Je n'ai pas encore reçu le colis que tu m'as envoyé. Je pense le recevoir demain.
Tu auras reçu la lettre où je vous disais de ne pas envoyer de colis lundi prochain car je pense que quand il arriverait, je pourrais être parti en permission. Je pense qu'A.... doit repartir demain matin pour revenir, rien de plus à vous dire que de vous envoyer un million de tendres baisers à tous les quatre, en attendant de vous embrasser bientôt de près".

Léon G..... 

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samedi 24 novembre 2012

*Le 6 septembre 1915, de Léon "enfin réunis"...



Le 6 septembre 1915,
de Léon, sur une carte "enfin réunis"

Ma très chère petite femme, et mes chers petits enfants chéris,

"Je désire que vous soyez tous en bonne santé.
Quant à moi, je vais bien.
Ce matin j'ai mangé la boîte de pieds et paquets. 
Je les ai mangés très volontiers.
Il me reste encore la boîte de porc rôti.

Hier je t'ai envoyé une longue lettre.
Il y avait la carte n° 2 de cette série.
J'ai envoyé hier aussi une carte à Théodorine et une à Claire.
Tu me diras si vous les avez reçues, car ce n'est pas moi qui les ai mises à la boîte aux lettres,
(celles du 5 septembre).
Léon qui vous aime.

Un million de bonnes caresses de ton mari"... etc...

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vendredi 23 novembre 2012

*A Emilienne, Marcel, Justin...

Léon écrit à Juliette et à ses enfants

sur une carte postale représentant la guerre européenne en 1914 - avec un portrait du Roi des Belges, Albert 1er.

le 2 mars 1915, de Léon 3ème de ligne 12ème compagnie

A Mademoiselle et Messieurs, Emilienne, Marcel et Justin G. au Tholonet, Campagne Raoulx par Aix-en-Provence (Bouches du Rhône)

Mes très chers petits enfants,

"J'ai reçu votre gentille petite lettre. Vous me dites que vous êtes tous très sages, et que vous faites bien des prières pour moi ; continuez à être toujours bien sages, de ne pas faire bisquer maman. Embrassez-la, ainsi que votre mamet et les tantines.

Votre papa qui vous aime et vous embrasse tous".
Léon .....
          


                                                                               Léon

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jeudi 22 novembre 2012

*La correspondance...




J'ai eu la chance de retrouver dans un carton, consciencieusement conservée, toute une correspondance échangée entres mes grands-parents, ma famille, pendant cette période.

Ces documents sont inestimables pour moi. Ils m'aident ainsi à mieux comprendre ce temps, et les liens qui  nous  unissent, les uns par rapport aux autres.

J'ai transcris le texte tel quel, oubliant souvent l'orthographe, corrigeant quelquefois certaines fautes trop criardes, mais souhaitant avant tout faire revivre des sentiments fort, liant parents, enfants, et autres parents.

C'est très émouvant pour moi, et j'ai pleuré en lisant et reprenant ces passages, de me retrouver si proches d'eux presque un siècle après....


Den

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*Léon épouse Juliette....

Léon l'épouse rapidement Juliette.

J'ai en ma possession la photographie artistique comme c'est indiqué, les représentant ce jour-là.

Un très beau couple, Léon en habits foncés, chemise blanche, les chaussures noires de ville, bien cirées ; Juliette dans une magnifique robe de mariée avec une grande traîne, blanche ou écrue, les cheveux châtains sont retenus par le voile sur le dessus de la tête. Léon tient la main de sa femme fièrement, assurément présentant l'alliance.

La photo a été prise par R. Jouven, médaille d'or  - Aix en 1902 - boulevard de l'Armée à Aix-en-Provence. Une référence.




Il s'ensuivra une grande famille.

Pour l'instant, il y aura Emilienne, Marcel, puis Justin, mon papa.

Justin est né en 1914, le 10 mai, et il est leur troisième enfant.


Den

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mardi 20 novembre 2012

*Léon et Juliette..

Mais avant de continuer leur histoire, notre histoire, il convient d'intercaler les deux personnages essentiels auxquels on a fait référence depuis un moment, les faire se rencontrer, Léon et Juliette, mes grands-parents paternels, d'inclure dans ces pages ce que l'on a conservé de leur vie, avant que la France aidée de l'empire russe et du  Royaume-Uni, dans la triple entente, opposée à un autre bloc, la triple alliance, composée des empires allemands, d'Autrice-Hongrie et Ottomans, n'entrent en guerre.

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Avant eux, avant nous, il y a eu Léon et Juliette.

On est à Aix-en-Provence.

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Avant eux, avant nous, il y a eu Léon qui a rencontré Juliette.

Léon, le papa de mon papa, mon grand-père paternel s'appelle en réalité Goselin, son premier prénom à l'Etat-Civil, suivi de Léon, mais il a choisi d'intervertir ces deux prénoms, ou bien ses parents ont choisi pour lui, pour une raison que je ne connais pas, de s'appeler (l'appeler) Léon, Léon G....

Goselin-Léon donc est né le 29 mars 1880.
(Pour Juliette, je ne suis pas en possession de documents relatifs à son âge, sa naissance, mais ils avaient sensiblement le même âge.... je crois).

On est en novembre, et Léon vend des chrysanthèmes dans l'allée du cimetière, comme c'était de coutume, et comme ça l'est toujours, dans le prolongement de la rue du RICM, rue au coin de laquelle il y avait, et il y a encore un bar.
Les platanes perdent leurs feuilles rousses qui continuent de jouer avec le mistral.

Juliette qui vient de l'Isère, non loin de Die, est serveuse dans ce bar, dont la deuxième façade s'ouvre sur l'avenue des Poilus près de l'Ecole Militaire.

C'est une très jolie jeune fille aux yeux clairs lumineux, singulièrement remplis de bienveillance, qui expriment leur couleur et leur feu du sentiment intérieur, suivant qu'ils noircissent, s'approfondissent dans la tristesse ou l'attention, la cogitation, jettent des éclairs qui zigzaguent dans un mouvement excité, ainsi que des rayons de beauté brillante vers ceux qui les regardent admirativement.

Le 18 mai 1909, elle reçoit de St Romans, d'une amie, probablement, ou d'une personne de sa famille, une carte postale signée Elise B. "cueillies pour vous", représentant une petite fille qui arrose une corbeille de fleurs,
"souvenir d'amitié, bon souvenir".



Cette carte postale sera réceptionnée chez Monsieur A... - tailleur, sur le cours Mirabeau- au 42, à Aix-en-Provence.

Le charme de Juliette opère donc, et Léon tombe follement amoureux de cette demoiselle née J...

Pour preuve une carte postale retrouvée, datant de cette époque, "j'ai confiance en vous, ne doutez pas de moi", il lui écrit : "très chère amie".


Mes pensées sont toutes pour vous depuis bien longtemps, car j'ai une grande amitié envers vous.
Il signe, votre futur dévoué, pour vous Léon G.... au Tholonet, Campagne Raoulx (BdR).

Un peu plus tard,

Sur une carte non datée, "je puis vous indiquer le chemin du bonheur", il écrit de sa plus belle plume.



A Mademoiselle Juliette J.. à Aix-en-Provence, Boulevard de l'Armée, chez Mme Henri, 
"Très chère Juliette. Merci pour votre gentille lettre, vous pouvez croire que je vais vous voir pour le bon motif, car une fois que j'ai donné ma parole, c'est fini, et vous êtes le rêve de mes amours.
A bientôt, cordiale poignée de mains.
Léon G....."


Den


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* Encore un peu de temps.....




On a encore le temps. Encore un peu.
A l'époque, aller d'Aix au Tholonet, ou à Beaurecueil, ce n'était pas un exploit. On faisait la route à pied, seul ou en famille, ou à vélo.

L'assassinat de l'Archiduc François-Ferdinand, le 28 juin 1914, à Sarajevo, l'héritier du trône d'Autriche-Hongrie, n'a pas eu lieu, cristallisant d'autres tensions plus profondes, d'autres contentieux antérieurs, entraînant ainsi la Grande Guerre préparée de longue date.

Ce sera la Première Guerre Mondiale, -la guerre qu'a vécu et fait mon grand-père Léon, le père de mon père Justin- qui débutera en cette saison estivale habituellement pleine de nouveaux élans prometteurs, et qui se terminera le 11 novembre 1918 par la Convention d'Armistice signée à Rethondes dans le wagon du Maréchal Foch.

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Justin, mon père, vient de naître à la vie le 10 mai de cette même année 1914 de début de guerre.
C'est dire que la famille G.... vivra bientôt pour lui, et les enfants issus de l'amour de Léon et Juliette, Emilienne et Marcel, des heures difficiles.

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Den





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lundi 19 novembre 2012

*C'est hier que j'ai vieilli. D'un coup. Alors que je ne m'y attendais pas.


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C'est hier que j'ai vieilli. D'un coup. Alors que je ne m'y attendais pas.

J'ai pris conscience du temps qui passe et de la nécessité de continuer à écrire, pour de bon cette fois.

Ce sont les chagrins contenus, les soucis quotidiens, le temps qui s'emballe, le corps fatigué à la longue, et l'esprit aussi. Ces déclencheurs m'y ont poussé à le faire

Et se rattacher au passé comme à une branche, remonter le temps, font du bien, au tiède dans l'espace perdu. Pas toujours. Mais bon !

Comme les énormes tartines de beurre et de confiture avalées avec délectation, que l'on sait néfastes pour la santé, pourtant exquises, accompagnées d'un café corsé, le matin, au creux, lovée dans la maison, à l'abri des autres, seule et un peu perdue...

Den







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dimanche 18 novembre 2012

*De la période qui suit..

De la période qui  suit, je ne connais que ce que l'on a bien voulu m'en dire, bien plus tard, avec discrétion, en gardant le silence sur cette guerre déplacée en Provence durant les années 1944-1945, taisant certains instants, tout simplement parce que méconnus par ma famille paternelle.




Loin de la ville. A la campagne, les messages ne parviennent pas jusque là.

Par contre, de l'installation à la Fromentane après le mariage de papa et maman, des nouvelles dispositions, des nouvelles mises en route après cette guerre qui a tout désorganisé, envoyant, pour ne jamais revenir, de beaux garçons, vers une guerre inutile.. j'en ai entendu parler plus ou moins précisément.. plus ou moins en détail.

On est en 1945, et cette année a été précédé d'une année de renaissance de la vie politique et sociale. Ouf, il était temps.... !

Maintenant, tout est à recommencer, à reconstruire sur de nouvelles bases.

L'amorce d'une histoire reste à écrire.

Mon histoire.

Et on l'écrit cette nouvelle histoire avec les prémices d'une famille de laquelle je serai issue, moi la première enfant de Camille et Justin, mes parents, conçue neuf mois avant le 22 février 1946 date de ma naissance. Conçue donc, au cours du mois de mai 1945 qui a proclamé la fin de la guerre, dans un grand bonheur, certainement, après un incommensurable soulagement pour une paix enfin retrouvée. On imagine l'ampleur et la saveur d'une aussi grande joie !

Un mois après le mariage de mes parents. Seulement.

Den


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samedi 17 novembre 2012

*Les présentations....

La semaine d'après, effectivement, ils se sont revus, puis d'autres dimanches, d'autres jeudis.
Et ce pendant un an.

Puis la rencontre avec la famille a été organisée, par un dimanche bien ensoleillé, à la Fromentane, ce qui a permis d'officialiser leur relation d'amitié devenue amoureuse, à la joie de Léon et Juliette, mes grands-parents, surtout de Juliette, qui n'avait qu'une seule fille et sept garçons. Une fille de plus n'étant pas pour lui déplaire   !

A la joie de Léon et de Juliette donc, et à la satisfaction non feinte des frères, en grande partie célibataires.

Une aussi belle jeune fille venue d'ailleurs. On se pousse du coude, on rit sous cape, fiers de faire entrer, peut-être, dans sa famille, un tel bijou précieux, scruté   avec   tendresse  et   respect   !

Cependant on aimerait bien être à la place du frère Justin.

Camille surmonte une petite timidité, un soupçon de trac ; ses joues rougissent un peu, mais ce n'est que du bonheur en réalité.

Justin présente sa famille nombreuse ; tous sont d'ailleurs là pour la circonstance, pour accueillir cette nouvelle venue. On lui pose des questions, on essaie de savoir, qui elle est, d'où elle vient, ce qu'elle fait à Aix...

Il y a les célibataires, quelques-uns sont mariés ou vont se marier, il y a Yves, Gustave, Elisée, Paul, Marcel, la seule fille Emilienne. On parle d'Aimé, encore à la guerre. Il y a les frères, des belles-soeurs, de jeunes bambins, tous blondinets.

Camille écoute les présentations par son futur fiancé, mais ne retient pas pour l'instant, et elle s'en excuse, leur ordre de naissance.

Elle entend des prénoms, elle entrevoit des visages, parfois timides, parfois enthousiastes, spontanés, si bien que sa gorge se noue à Camille, émue par tant de sollicitude.

Elle pense qu'elle se sentira bien dans cette nouvelle famille ; sa famille ; celle qu'elle va pouvoir construire avec Justin, puisqu'il en est question.

Le lieu lui plaît. C'est la campagne, comme là-haut..
On y vit simplement, et il y a de l'espace.

Parfois certains frères se mettent à parler patois entre eux, en s'esclaffant de rire, grivois. Elle ne comprend pas toujours leur langage, ou fait semblant de ne pas comprendre, puisque leur patois provençal n'est pas si éloigné du patois de la Haute-Loire qu'elle connaît.

Mais elle sourit quand même.

Elle ne retient pas leur attitude, quelque peu singulière, et souhaite à présent partir, il est temps.
Allez, Justin !

Elle suppose d'entrée, que Léon est le patriarche des lieux, le chef, comme c'était le cas à l'époque, en Provence particulièrement.

Mais elle oublie pour l'instant ce trait de caractère, comme elle ignore le tempérament du père qu'il fut, avant et pendant la guerre de 1914-1918, soucieux, prévenant pour ses petits, et lorsque séparé d'eux.

La vraie personnalité de Léon transpirera dans la correspondance échangée avec les siens, et qui a été retrouvée après son décès, et non celle entrevue apparemment par Camille lors de leur première rencontre.

Mais pour l'heure, Juliette a de nombreux enfants, et sa place n'est que secondaire, on peut dire même servile dans une existence patriarcale fort présente.

C'est une très jolie femme, et elle sent très  vite  la solidarité toute féminine qui peut s'installer entre elle et Juliette.

Camille, dont les yeux brillent, se sent entourée, embrassée, serrée de toutes parts, et son coeur se   réchauffe ; elle sent plein de joie, de bons sentiments, des visages animés se pressent autour d'elle.

On les raccompagne, elle et Justin, jusqu'à la porte d'entrée.

Et si elle veut être réellement sincère, Camille, après cette première visite à la famille Léon G.... , elle doit reconnaître que son impression est positive, excitante même.

Tout chez eux est simple, naturel, sans chichi, et elle croit qu'ils vont bien s'entendre.

Léon est un  homme d'un petit d'un mètre soixante, un peu rond, la casquette vissée sur le crâne dégarni. Un bon gaillard. Bourru, mais cordial.

Juliette, légèrement plus grande que Léon, plus mince aussi, mais vieillie avant l'heure par les grossesses successives, et déjà des mains ravagées par des rhumatismes articulaires déformants.

Elle peut Camille, quand elle le veut, revenir chez eux à la Fromentane.

Ils le lui ont dit. Et elle y reviendra bientôt, et souvent.

Den





*La rencontre entre papa et maman...

Pas sur celui-là, il monte trop haut, s'exclame Camille.

Pour ne pas la contrarier, apeurée,....bon, et puisqu'il est l'heure, maman doit rejoindre  son travail chez les R....

Intéressé par cette belle jeune fille, papa profite de lui montrer le chemin en la raccompagnant, usant d'un stratagème... je vais vous montrer un raccourci que vous ne pouvez pas connaître.. et pour cause...

Le subterfuge fonctionne à merveille.. il la raccompagne, non pas par un raccourci, mais par un chemin de traverse.. le chemin des écoliers. En effet, elle ne le connaissait pas celui-là !

"J'espère que l'on se reverra jeudi prochain ?"
Le jeudi était le jour de repos des enfants, et de Madame R.. puisqu'enseignante.  Ce jour ressemblait au mercredi d'aujourd'hui, de nos petits-enfants, comme deux gouttes d'eau, mais en plus calme.

C'était juste avant la rentrée scolaire.
Juju habitait la Fromentane, route de Galice, en famille, chez le Docteur Edouard G.....

Den
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vendredi 16 novembre 2012

*Novembre....


Novembre a ratissé les feuilles au jardin




Et la partition frissonne de l'infinitude du temps d'un rêve
 Au timbre de la saison



Les nuages entendent cette musique
Qui frôle la voûte nimbée





La lumière soyeuse
Rencontre le silence en chemin
Paré d'or et d'argent,
Eveillée à la Voie,


Le ciel impatient
Peint l'aquarelle,
Le paysage divin,
Et parle à l'au-delà




Plus loin d'autres nuages s'enroulent 
Comme une symphonie fascinante
Balance sa musique aux Cieux
Au fil de Novembre.

Den

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*Nuages..


"Eh ! qu'aimes-tu donc extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages.. les nuages qui passent...
là-bas.. là-bas... les merveilleux nuages..."

Petits    poèmes en prose ou le Spleen de Paris (1862) L'Etranger
Charles Baudelaire

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mardi 13 novembre 2012

*Le soir rasséréné...



Le soir rasséréné
Au bord de la nuit
S'enroule, et le silence
Déroule le temps reposé
Aux pieds des nuages croisés.

Il se grime d'écailles foncées
Et colorie sa chevelure de jaune, miel, orangé, 
Et saupoudre le bord de son regard d'ombres dorées.

Et le soir se pose terrassé 
Le long de l'horizon
Dans le noir effacé.

Den

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*Georges et Camille



Georges quitte la Haute-Loire afin de se rapprocher de sa jeune épouse, qui habite la Loire, le département limitrophe.

Il travaille à présent à Firminy à l'usine Oltzer. Georges, dit Jojo, n'oubliera jamais ses patrons, ni sa soeurette ; il leur rend visite régulièrement.

Des liens indestructibles les uniront à jamais.
Georges et Camille.

Georges est décédé il y a pas loin de vingt ans : triste coïncidence c'était le jour du mariage de ma soeur.
Vodie sa femme est aujourd'hui âgée de quatre-vingt-quatorze ans et continue d'être en relation étroite avec maman, sa belle-soeur, téléphoniquement puisqu'elle ne peut plus se déplacer loin de chez elle.

Elles s'aiment beaucoup, ne s'étonnant nullement de leur âge avancé, toujours pleines de projets....


Den


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*L'oncle Georges

A vingt-trois ans, il épouse Evodie Héritier, dite Vodie, Marthe comme autre prénom, on disait Vodie.

Orpheline dès son plus jeune âge -ses parents sont décédés de la fameuse grippe espagnole..
elle est élevée par ses grands-parents, avec sa soeur Lucette (avec qui elle vivra, lorsque devenue veuve, jusqu'au bout de sa vie), ainsi qu'avec un frère plus jeune qu'elles.
J'ai toujours entendu parler de Lucette, pas de leur frère.

L'esprit de maman se brouille, s'embrouille.

Ce jeu de mémoire la fatigue. Je n'insiste pas. J'imagine.

Ce va-et-vient entre passé et présent fait pression... il a dû mourir à la guerre, en jeune appelé.
Je ne m'en souviens plus très bien.

L'esprit se déplace.

D'après une photo, me spécifie ma soeur, qui se rajoute à la conversation, et à qui je fais lire la vingtaine de pages écrites pendant ses dernières vacances en Espagne, et à son retour, il s'agissait d'un artiste, d'un poète.
C'est un détail que je ne connaissais pas. Je n'en ai jamais entendu parler.




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lundi 12 novembre 2012

*Une mère qui abandonne son enfant...



Une mère qui abandonne son enfant sur les marches d'un bâtiment aussi prestigieux qu'est l'Hôtel Dieu à L.. 
ne peut être foncièrement mauvaise.

Prévoyante avisée, je ne peux l'excuser..

J'essaie de comprendre. Comprendre son geste.

Et si.. et si... 

Pourquoi ? Pourquoi ?

On est en hiver, et il fait froid.

Maman a été retrouvée bien emmitouflée, on  me l'a dit - et j'ose l'espérer, dans des vêtements chauds, de qualité, brodés, propres. Une famille aisée, il semblerait... !

Cet abandon, cet "oubli" était-ce un choix ?

L'ignorance entraîne des interrogations.

Quoi qu'il en soit, le nourrisson abandonné n'avait pas la même chance de survie... qu'il soit légitime ou bâtard...

Enfant illégitime conçu dans le pêché.. ou naturel issu de lignée noble.. ou né de mère décédée en couches, ou de femme extrêmement pauvre pour qui l'abandon apparaissait comme la seule issue raisonnable..

Quel cas de figure !

Je m'interroge..

Den








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samedi 10 novembre 2012

*Je retrouve maman, et ses craintes, des craintes récurrentes...



Je retrouve maman, et ses craintes, -des craintes récurrentes-, que ses vrais parents ne viennent la chercher, et l'enlever de chez les R. ses parents adoptifs, sa mère nourricière, son antre, quoi qu'il en soit..

Toujours bien protégée par son frère de lait, Georges.

Dans un cocon. On se veut heureux, dans tous les cas, on n'est pas vraiment malheureux. Pas toujours.

On doit être heureux puisqu'on ne connaît pas d'autres bonheurs que ceux-là.

Au chaud dans son histoire.

Là quelque part tapie dans un coin de l'Auvergne, maman reviendra toujours chez les R..., le week-end, les jours fériés, pour les vacances, même lorsqu'elle travaillera ailleurs, comme une mouche capturée dans un pot de confiture, irrémédiablement engluée à leur vie.

Maman revoit nettement la chambre étroite, les rideaux de couleur blanche, devenus gris par la suite, sans rien de remarquable à annoter dans la marge de la page du livre, l'image est dans son cadre de travers, une bondieuserie sans doute, comme l'on en trouve dans ces contrées.

La chambre sent le vinaigre blanc, à moins que ce ne soit la javel, pas le propre vraiment, mais une odeur défraîchie, mal aérée. Une odeur de renfermé, étrangère, qui colle à la gorge, pugnace.

Elle est à la fenêtre, Camille, habituée à ces odeurs particulières de déjà porté, ou d'odeurs corporelles anciennes, qu'elle essaie de faire disparaître dès qu'elle le peut, par une ventilation aérienne.. le parquet craque... elle a cinq minutes à elle avant de redescendre. Elle se hâte hors de la chambre.

Elle redescend.

La cuisine exhale d'odeurs familières de soupe de légumes finement coupés.

Les meubles de bois blanc, -du bois brut- non encore ciré, sentent le détergent, et le parterre, le savoir noir.
Les torchons récemment changés par Camille, habillent le mur fraîchement  repeint. La nappe à carreaux rouges comporte, régulièrement répartis, à leur place, quatre assiettes, quatre verres, et quatre cueillères à soupe. Aucun luxe, le nécessaire uniquement. Des habitudes.

Ce sont celles de Mme R..., son mari, non prénommés, c'est dire la distance que les sépare de Jojo et Camille.

Le repas ne s'éternisera pas. Demain, c'est jour de marché.

Madame R.. ira vendre ses légumes, ses poulets ou ses lapins. On est encore à Aleysson.

Je n'ai pas retrouvé ce nom sur le plan de Tence... était-ce un lieu-dit, un hameau, le nom d'une ferme ?
Je ne sais.. en tous cas les R. vivaient à Aleysson et maman aussi.

Plus tard, ils déménageront pour Tence, la ville, dans le centre.

Pendant que Mme R... sera au marché, Georges et Camille profiteront de bien déjeuner. Comme ils aiment.

Confortablement installés dans la cuisine, ils dévoreront le potage, une assiette, ou peut-être deux, agrémentée(s) d'une énorme cuillère à soupe de "jim", la crème 100 % naturelle.

"encore un peu" dit Jojo, "encore un peu, ça ne se verra pas, encore.. " En se pourléchant les babines de plaisir. Maman se souvient, contentée, approuve l'image, et sourit.

Georges a dix ans de plus qu'elle, et la dépasse d'une tête en taille.

Lui, chez les R.... il y demeurera jusqu'à ses vingt-trois ans.

D'enfant à homme à tout faire, il l'est, il l'a été, l'a accepté. Comment pouvait-il en être autrement ?

Une forme d'exploitation reconnue et admise dans ces familles adoptantes.

Madame R.. un visage sévère marqué par des traits grossiers, à moins que ce ne soit qu'un trait de grande fatigue dans une vie trop rude, vêtue de noir, d'un noir mortuaire, une jupe longue, cachant toute démonstration de féminité - des cheveux en arrière, tristement retenus par un lien ou une barrette, peut-être.

J'ai revu l'unique photo que possède maman, jaunie de plus par le temps et l'histoire. Maman, debout, les cheveux noirs, tressés, un béret sur la tête.
Une belle jeune fille campée sur ses deux jambes.
Le sourire est aux lèvres. Les yeux brillent de malice.
L'avenir semble lui appartenir.
Et il lui appartiendra.

Den