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samedi 31 octobre 2020
dimanche 11 octobre 2020
*"Clous" poèmes d'Agota Kristof
Traduction des poèmes hongrois par Maria Maïlat
Après les trois romans de sa trilogie, Le Grand Cahier, La Preuve, Le Troisième mensonge, son dernier roman Hier, ses nouvelles C’est égal et son récit autobiographique L’Analphabète, nous pouvons lire aujourd’hui les poèmes d’Agota Kristof (1935-2011). Peu avant sa mort, elle les avait sortis de ses archives pour qu’ils soient édités.
Clous rassemblent les poèmes hongrois de jeunesse dont elle a intensément regretté la disparition au moment de quitter la Hongrie en 1956. Elle les a reconstitués de mémoire, en a ajouté de nouveaux, a choisi leur titre français mais ne les a pas traduits. Source d’inspiration de plusieurs proses, les poèmes sont restés inédits.
Ce livre bilingue constitue leur édition originale en hongrois et leur première traduction en français. Ils sont accompagnés de quelques poèmes écrits directement en français. On y retrouve le style tranchant d’Agota Kristof, ses thèmes, la perte, l’éloignement et la mort, mais aussi, largement déployés, la nature et l’amour.
biographie
Née en 1935 à Csikvand, Agota Kristof fuit la Hongrie en 1956 après une enfance marquée par la guerre mais aussi par la personnalité de son père instituteur et par les jeux avec ses deux frères. Le hasard veut qu’elle s’installe en Suisse à Neuchâtel, où elle travaille tout d’abord en usine. Elle y apprend le français, puis écrit pour le théâtre et réussit à faire jouer ses pièces. En 1986, Le Seuil publie son premier roman, Le Grand cahier, qui lui vaut un succès mondial. Agota Kristof est décédée en 2011.
autres titres du même auteur aux éditions ZOE


extrait)
III
Quoi de neuf rien
comment vont les enfants
merci à présent seuls trois sont malades
les grands sont dans les magasins
ne vont pas à l’école
c’est égal
ils s’en sortiront d’une façon ou d’une autre et vous
rien de spécial il est devenu propre
notre chien sort dans la rue
uriner
parfois il neige
*
Une fois, plus tard...
Une fois plus tard je parlerai
de quelque chose de beau de douces
choses tendres avec une imperceptible
tristesse
un soir quand le ciel se remplira de beauté
quand les maisons se feront grises
et tout sera brouillard
Là sous la pluie
parmi les maisons monochromes
je parlerai de l'empire
des feuilles d'automne
car il sera octobre
Derrière le brouillard
vous vous taisez le col
relevé les mains frileuses
dans les poches
sans lumière comme l'ombre
Et la pluie glisse sur nos têtes nues
sous nos cols
douce tendre pluie
tombe sur les maisons sur les arbres et le ciel
devient toujours plus beau
Et la beauté descendra sur vous
avec une imperceptible
tristesse et vous comprendrez que
dorénavant ce sera toujours l'automne.
*
Sur la route
A présent inconnue parmi les ombres
furtives de la vitesse je ne sais plus
d'où je suis partie peu importe
la route sera aussi longue que la vie
auparavant au-dessus du pont
j'ai rencontré les arbres muets et je leur ai dit
pensez-vous encore
aux oiseaux envolés
aux oiseaux tombés
la forêt garda le silence et s'en fut plus loin
mais au-delà de tout cela
un coup d'oeil bleu vers les nuages
qui doivent apprendre
les parfums multicolores des fleurs
souples comme l'aube d'avril
où peuvent-elles être maintenant
toutes ces couleurs senteurs et voix
sur le sentiers de montagne recouverts de neige
elles se sont échappées au loin dans le silence
des ponts maisons gens
l'envol d'un baiser quoi de plus fugace
mais un baiser après tout et pourquoi attendre davantage
plus loin des bruissements sauvages sur le champ
les crevasses sombres et fascinantes
comme les yeux des amoureux au crépuscule
le vent gronde nous fonçons hurlant dans la nuit
un claquement et nous y arrivons
quelqu'un s'est trompé
pas encore non
trois mots de travers
le lune quitte le ciel
.*
Pas le vent
Le soir les lumières sombrent dans le silence
et nous prenons la route sur les galets du rivage
des ponts blancs
se balancent au-dessus de l'eau et déjà
l'horloge de la tour annonce minuit
ses gongs sont douze oiseaux noirs
ils nous montrent une lune parfaite
C'est pour cela que les arbres tremblent
non ce n'est pas le vent pas le vent
ton regard se refroidit
ton front se refroidit
Où vas-tu ici le sentier touche à sa fin
dans le mur
le maître a oublié de découper une porte
il n'y a même pas une seule brèche par laquelle
tu pourrais regarder de l'autre côté
il y a une seule possibilité
se mettre droit debout

lundi 5 octobre 2020
*L'Autre
L’Autre
« Je est un autre. » Arthur R.
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Je recherche l’Autre
J’aperçois au loin
La femme que j’ai été
Je discerne ses gestes
Je glisse sur ses défauts
Je pénètre à l’intérieur
D’une conscience évanouie
J’explore son regard
Comme ses nuits
Je dépiste et dénude un ciel
Sans réponse et sans voix
Je parcours d’autres domaines
J’invente mon langage
Et m’évade en Poésie
Retombée sur ma Terre
J’y répète à voix basse
Inventions et souvenirs
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Et je retrouve l’Autre.
Andrée Chedid
Poème inédit commandé par le Printemps des Poètes 2008