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Bienvenue dans mon nouvel espace
"le crayon et la plume"
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mardi 26 mai 2020

*Avec balcon

Lundi 18 mai 2020
par Augustin Trapenard
France Inter 

Lettre d'Intérieur


"Les humains ont le don inouï de fabriquer du regret..." - David Foenkinos

 

David Foenkinos est écrivain, dramaturge et scénariste. On lui doit notamment les romans "La délicatesse" et "Charlotte". Dans cette lettre adressée à celui qu'il était au début de l'année, il regrette de ne pas avoir su profiter de tout ce qui lui manque aujourd'hui. 


David Foenkinos s'est écrit une lettre à lui-même…
David Foenkinos s'est écrit une lettre à lui-même… © Getty / Jasmin Merdan
Dans un appartement sans balcon, le 17 mai 2020

Mon cher David,

Je sais que les gens vont penser que tu es devenu complètement égotique en t’écrivant ainsi à toi-même. Surtout en ce temps où les autres te manquent tant. Où tu ramasserais désespérément n’importe quelle miette d’un souvenir collectif. Ils vont se dire que le confinement te propulse dans une sorte d’Alain-Delonite aigüe. Mais je ne pouvais faire autrement que de m’adresser à toi mon cher David, mon innocent de janvier 2020. Je t’écris d’un pays que tu vas bientôt connaître et pour lequel il ne faut pas de passeport. Ton seul voyage sera du salon à ta chambre, avec escale en cuisine. C’est une période où la mélancolie te sera facile. Ce spleen que Dostoïevski appelle « la tristesse civique ». Incroyable expression qui résonne si juste aujourd’hui. La tristesse civique. Alors voilà, d’où je suis, je voulais t’exhorter à profiter pleinement de ce que tu n’auras plus bientôt. Je me souviens comme tu râlais de ces trajets dans le métro bondé. Ah mon pauvre, si tu savais ta chance ! Savoure chaque station où tu es collé aux autres, où tu manques de t’étouffer. Tu te souviens comme la rame restait coincée entre Rome et Place de Clichy dans le noir pendant dix minutes ? Ah, le bonheur ! Ce souvenir, c’est un peu mes nouveaux Maldives maintenant. Et quand tu sortais dans la rue, il faisait gris, les gens avaient des soucis et faisaient la tête. Mais au moins tu voyais leurs visages ! D’où je t’écris, on ne voit plus de sourires. C’est la mort des rouges à lèvres. Puis, tu allais déjeuner dans ce café où tu attendais pendant tout le repas une corbeille de pain qui n’arrivait jamais. Crois-moi que tu donnerais tout maintenant pour pleurnicher sur un hypothétique crouton et t’agacer de la nonchalance d’un serveur. Et puis, ce soir-là, tu étais allé au théâtre voir une pièce qui t’a ennuyé. C’était vraiment mauvais. Tu as fini par faire ta liste de courses dans ta tête pour passer le temps. En plus tu t’étais déplacé une vertèbre à force de te contorsionner. Mais, en y repensant mieux, quelle soirée divine ! D’où je suis même le mauvais goût est devenue une saveur. Tout ça est classique tu me diras : on en vient toujours à aimer ce qu’on perd. Les humains ont le don inouï de fabriquer du regret. Voilà pourquoi je suis parti en éclaireur de nous. Au fond, pour réussir sa vie, on devrait toujours avoir une sorte de double qui a trois mois d’avance. Alors je t’en prie, aime la vie ! Prends le métro aux heures de pointe, fais toi maltraiter par un serveur, et va voir de mauvais films ! Savoure notre paradis, et reviens vers moi, armé de tous ces souvenirs que j’ai envie de chérir. Quand tu seras près de moi, je serai heureux de t’embrasser, et d’ailleurs je serai la seule personne qui aura le droit de t’embrasser...

Ps : Ah oui, tant que j’y suis : il te reste deux mois pour déménager et tenter de trouver un appartement avec un balcon.

David Foenkinos

 

2 commentaires:

  1. Eh oui, "on en vient toujours à aimer ce qu’on perd."
    Que cet épisode de confinement obligé nous permette au moins de mieux savourer chaque jour qui passe.
    Bonne après-midi, Den !

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  2. "on en vient toujours à aimer ce qu'on perd".... alors ne perdons pas de temps.... vivons, vivons, vivons.
    Merci Fifi.
    De gros bisous à toi.
    Doux après-midi.

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Par Den :
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