"A peine eus-je commencé d'écrire, je posai ma plume pour jubiler.
L'imposture était la même mais j'ai dit que je tenais les mots pour la quintessence des choses.
Rien ne me troublait plus que de voir mes pattes de mouche échanger peu à peu leur luisance de feux follets contre la terne consistance de la matière :
L'imposture était la même mais j'ai dit que je tenais les mots pour la quintessence des choses.
Rien ne me troublait plus que de voir mes pattes de mouche échanger peu à peu leur luisance de feux follets contre la terne consistance de la matière :
c'était la réalisation de l'imaginaire.
Pris au piège de la nomination, un lion, un Capitaine du Second Empire, un Bédouin s'introduisaient dans la salle à manger ; ils y demeureraient à jamais captifs, incorporés par les signes ; je crus avoir ancré mes rêves dans le monde par le grattement d'un bec d'acier.
Je me fis donner un cahier, une bouteille d'encre violette, j'inscrivis sur la couverture : "Cahier de romans"
le premier que je menai à bout, je l'intitulai "Pour un papillon." Un savant, sa fille, un jeune explorateur athlétique remontaient le cours de l'Amazone en quête d'un papillon précieux.
L'argument, les personnages, le détail des aventures, le titre même, j'avais tout emprunté à un récit en images paru le trimestre précédent.
Ce plagiat délibéré me délivrait de mes dernières inquiétudes : tout était forcément vrai puisque je n'inventais rien. Je n'ambitionnais pas d'être publié mais je m'étais arrangé pour qu'on m'eût imprimé d'avance et je ne traçais pas une ligne que mon modèle ne cautionnât. Me tenais-je pour un copiste ? Non. Mais pour un auteur original : je retouchais, je rajeunissais ; par exemple, j'avais pris soin de changer les noms des personnages. Ces légères altérations m'autorisaient à confondre la mémoire et l'imagination.
Neuves, et tout écrites, des phrases se reformaient dans ma tête avec l'implacable sûreté qu'on prête à l'inspiration. Je les transcrivaient, elles prenaient sous mes yeux la densité des choses. Si l'auteur inspiré, comme on croit communément, est autre que soi au plus profond de soi-même, j'ai connu l'inspiration entre sept et huit ans".
Pris au piège de la nomination, un lion, un Capitaine du Second Empire, un Bédouin s'introduisaient dans la salle à manger ; ils y demeureraient à jamais captifs, incorporés par les signes ; je crus avoir ancré mes rêves dans le monde par le grattement d'un bec d'acier.
Je me fis donner un cahier, une bouteille d'encre violette, j'inscrivis sur la couverture : "Cahier de romans"
le premier que je menai à bout, je l'intitulai "Pour un papillon." Un savant, sa fille, un jeune explorateur athlétique remontaient le cours de l'Amazone en quête d'un papillon précieux.
L'argument, les personnages, le détail des aventures, le titre même, j'avais tout emprunté à un récit en images paru le trimestre précédent.
Ce plagiat délibéré me délivrait de mes dernières inquiétudes : tout était forcément vrai puisque je n'inventais rien. Je n'ambitionnais pas d'être publié mais je m'étais arrangé pour qu'on m'eût imprimé d'avance et je ne traçais pas une ligne que mon modèle ne cautionnât. Me tenais-je pour un copiste ? Non. Mais pour un auteur original : je retouchais, je rajeunissais ; par exemple, j'avais pris soin de changer les noms des personnages. Ces légères altérations m'autorisaient à confondre la mémoire et l'imagination.
Neuves, et tout écrites, des phrases se reformaient dans ma tête avec l'implacable sûreté qu'on prête à l'inspiration. Je les transcrivaient, elles prenaient sous mes yeux la densité des choses. Si l'auteur inspiré, comme on croit communément, est autre que soi au plus profond de soi-même, j'ai connu l'inspiration entre sept et huit ans".
Extrait de "les mots"
Jean-Paul Sartre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Par Den :
Ecrire un commentaire :
Liens vers ce message :
Créer un lien :