"Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l'ordre des années et des mondes. Il les consulte d'instinct en s'éveillant et y lit en une seconde le point de la terre qu'il occupe, le temps qui s'est écoulé jusqu'à son réveil. (...) Mais il suffisait que, dans mon lit même, mon sommeil fût profond et détendit entièrement mon esprit ; alors celui-ci lâchait le plan du lieu où je m'étais endormi, et quand je m'éveillais au milieu de la nuit, comme j'ignorais où je me trouvais, je ne savais même pas au premier instant qui j'étais, j'avais seulement dans sa simplicité première, le sentiment de l'existence comme il peut frémir au fond d'un animal ; (...) mais alors le souvenir - non encore du lieu où j'étais, mais de quelques de ceux que j'avais habités et où j'aurais pu être - venait à moi comme un secours d'en haut, pour me tirer du néant d'où je n'aurais pu sortir tout seul ; je passais en une seconde par-dessus des siècles de civilisation, et l'image confusément entrevue de lampes à pétrole puis de chemises à col rabattu recomposaient peu à peu les traits originaux de mon moi".
Marcel Proust (A la recherche du temps perdu).
(Réf ; Sur les épaules de Darwin - France Inter - par Jean-Claude Ameisen) (émission du 19 novembre 2011 - les battements du temps (11) )
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