Là, ici, cachée sur l'étroit rebord de la fenêtre, j'observe de ma place, immobile et silencieuse, le passage d'un tracteur ou d'un animal familier, gourmande de ce temps. Je prends le temps.
J'aperçois et j'entends leur va-et-vient.
C'est le temps balancé entre un autrefois encore présent et la vie d'aujourd'hui qui me happe.
Allongée sur le dos, à même le sol, sur des brindilles, je regarde avec contemplation et délice les grands marronniers centenaires, comme on admire le ciel immense, dans un vacillement contrôlé, jusqu'au bout des arbres qui touchent presque l'azur, rassérénée par tant de beauté. Par chance, ces marronniers, et je ne le sais pas encore, ne connaissent pas le chancre bactérien, ni la pollution... ce sera pour plus tard, autour de la périphérie urbaine..
Mes yeux d'enfant, puisque je n'ai pas encore six ans, caressent toute la splendeur du monde retenue en ce lieu magique, où tout peu arriver, par ce souffle divin qui seul peut tout changer, jusque dans les recoins des branchages les plus bas, et j'accroche alors mon regard sur quelques marrons encapsulés dans leurs coques épaisses, charnues, hérissées d'épines molles.
Les marronniers d'inde transpirent majestueusement, avec féérie, face à moi, la petite fille pleine d'envies.
Ces marrons à la rondeur enfantine jonchent le sol, et je confectionne grâce à eux des bonhommes à la peu brillante, de toutes formes, des grands, des petits, statiques, complétés avec des allumettes en guise de bras et de jambes, ou unijambistes.
J'émiettes et écrase, peut-être des akènes, je prends dans mes mains ce que je crois être des faines, des amandes, et les observe, les tourne, les retourne, les décortiquant quelquefois comme je décortique avec mes petits doigts les feuilles des marronniers ne laissant subsister que leurs fines nervures et leur pédoncule.
Curieuse.
Je cherche et trouve des sauterelles, peut-être des criquets, aux ailes colorées, des bleues, des rosées, presque rouges, hésitant le plus souvent à leur arracher les ailes, mais ça arrive, et je les conserve alors dans des boîtes d'allumettes vides.
Pour le moment, et à cette époque, les jeux ne sont que ceux que l'on invente.
C'est l'enfance joyeuse, inconsciente aussi d'un temps qui s'échappe, et d'un autre qui arrive, doté d'un rythme nouveau, tonique, volontaire et plein de force. Lumineux comme un jour extraordinaire.
Le temps, ici, pour l'instant, a toujours un goût sucré, timide comme j'aime, comme le raisin fraîchement cueilli qu'on mordille goulûment à pleine bouche, à pleines dents, alors que le ciel ne se chargera pas de nuages, mais rajoutera un air qui ressemble au bonheur pour les choses simples.
Timide, j'avance.
Je regarde et entre aperçoit les arbres, les plants qui offriront leurs fleurs coupées, leurs fruits cueillis, les fleurs coupées nouées d'un ruban ficelle, et seront vendues au marché par les oncles : les pois de senteurs, les giroflées, les oeillets des poètes, les roses...
Le jardin s'égoutte dans les rigoles qui serpentent près du bosquet, et prend son temps, goutte à goutte..
Ici, et là, chaque chose a encore un sens, le sens de la vie.
Je retrouve leur goût dans ce coin de ma page, à la lumière du cahier d'écolier sur lequel je m'applique à ne rien oublier.
J'avance.
Silencieuse. Attentive.
Den
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