Quand j'ai dix ans, en 1956, Léon me raconte les tranchées, la guerre de Verdun, les tirs demeurés à jamais dans ses oreilles, ainsi que les odeurs toujours intactes.
Intéressée, je suis à son écoute.
Il est alors veuf de Juliette, et peu de temps après, un voyage lui est offert, comme à d'autres anciens combattants, sur les traces de leur passé, accompagnés d'une personne de leur choix.
Il me désigne, moi sa petite fille "préférée", avec l'accord de mes parents, parmi une dizaine d'autres de ses petits enfants pour un pélerinage à Verdun et sa région. Mes cousins-cousines.
Départ en train.
Le voyage est long, fatiguant.
Je suis fière de représenter ma famille. Déjà.
Là je découvre ce que les livres d'histoire ne peuvent pas décrire : La Grande Histoire.
Tenter de comprendre les horreurs de la guerre.
Effacer les fantômes qui continuent de hanter ces lieux !
Verdun, Douaumont.
On se promène, le souffle est coupé. On ouvre grand les yeux.
L'ossuaire, avec ses 130 000 soldats français et allemands morts au combat est là, qui domine un champ de bataille où la nature, a quelque peu repris ses droits.
La végétation commence à recouvrir cette terre meurtrière dont le sol a été fouillé profondément par des milliers d'obus.
On aperçoit toujours les cratères, les tranchées à demi-comblées.
De la guerre il ne subsiste presque plus rien, tout a été caché, le temps a glissé sur ces paysages, mais il demeure toujours les barbelés, preuve que ce lieu a connu l'enfer.
J'ai eu la chance de feuilleter le livre d'Or des soldats de Verdun, où le nom de Goselin, Léon G... est inscrit, que je revois avec une netteté photographique qui pique aux yeux : il est la preuve de son service actif à mon grand-père dans ce secteur entre le 31 janvier 1914 au 11 novembre 1918.
J'observe de loin l'immense cimetière aux croix similaires plantées à même le sol, les mêmes rangées alignées les unes à côté des autres... Douaumont.
1956.
J'envoie le 18 juin de cette année, d'une écriture appliquée, consciente de ma responsabilité, une carte à mes oncles, métayers à présent à la Bastide de la Petite Mignarde, derrière la route des Alpes, près du Chemin Noir à Aix-en-Provence, flanquée de platanes plus que centenaires,
"arrivés avec un très beau temps",
"un beau souvenir de Verdun à la famille G... sans oublier tonton Elisée, Yette, et Martine
signé Den
et Léon G..."
J'ai aidé Léon pour la signature. Il subsiste le trait au crayon autour des lettres, rehaussé par un stylo bille bleu.
De petite fille j'ai endossé le rôle de petite mère pour mon grand-père Léon âgé de soixante-treize ans.
Je n'ai que dix ans, mais j'ai la conscience que ce voyage est une épreuve pour lui à revivre ces instants douloureux.
Plus tard, en date du 30 juin.
Léon écrit "désire que la présente vous trouve tous en bonne santé.
Pensons partir le 2 ou 3 juillet.
Bonne caresse à tous.
Je rajoute ma signature à son envoi adressé à la famille G.... à la petite Mignarde, Quartier Pelcourt, Aix-en-Provence.
Léon décèdera au retour de ce voyage, peu de temps après. D'émotion certainement.
-=-=-=-=-=-=-=
Je suis revenue d'hier à aujourd'hui.
Au loin une étincelle promet la lumière.
Cependant les idées rendent la page opaque.
Me suis-je réellement échappée de ce passé ?
Me suis-je réellement échappée de ce passé ?
Restée longtemps immobile, perdue là, tandis que d'autres s'activent ailleurs, toujours en vacances, où l'eau vole en éclat dans un décor naturel, légère comme une plume. Comme j'aime. La fin d'été n'est pas annoncée.
Je retraverse cette époque, en douceur ; le soleil est toujours au zénith.
Pendant ce temps, je réinvente une histoire solitaire ne pensant à rien.
Je me repose ici sur la page tranquille et profite d'une éclaircie, tandis qu'Hugo mon petit-fils âgé de dix ans, et son papy découvrent en traversant en moto, joyeusement, de nombreuses villes européennes, en un périple mémorable de 16 jours, et 4 780 kms au compteur-enregistreur, ramenant ainsi 603 photos, et un cahier de bord journalier.
Den
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Par Den :
Ecrire un commentaire :
Liens vers ce message :
Créer un lien :